La kinkerne dans les Alpes du sud

La kinkerne dans les Alpes du sud

Le Selvage ou Le Sauvage ?

 Le nom de ce village tel qu’il apparaît dans le titre peut paraître hautement fantaisiste. Il a pourtant été employé, à tort, pendant de décennies, voire plus d’un siècle. Le comté de NICE a oscillé au gré des multiples guerres entre duché de Savoie (plus tard royaume de Sardaigne après le traité d’UTRECHT) et le royaume de France. Les habitants de ce village avant 1860 avaient pour langue officielle l’italien (Florentin), connaissaient le français pour les affaires traitées avec les voisins de BARCELONNETTE et de la vallée de l’Ubaye  , et parlaient entre eux un dialecte gavot, tirant sur le provençal alpin. La côte dite « d’Azur » leur était parfaitement inconnue, car trop éloignée : il fallait 3 jours pour s’y rendre !La particularité de ce village, depuis la renaissance et peut-être avant, était l’émigration temporaire à la mauvaise saison d’une grande partie de la population, qui allait gagner sa vie durant l’hiver en France , parfois dans d’autres pays européens, et revenait aux environs du 1e mai, lorsque la neige avait disparu et que les travaux agricoles pouvaient reprendre. Ne restaient au village que les femmes, les vieillards et les enfants.

Leur occupation principale consistait à tricoter au chaud dans l’étable les gilets ou chaussettes,  qu'ils allaient vendre à la fonte des neiges en colonnes muletières à BARCELONNETTE ou autres villages de l'Ubaye. La laine de ce village avait la réputation d'être la plus belle du comté de NICE.

Saint-Dalmas avait une particularité, peu appréciée de ses voisins: Contrairement à la majorité des villages , bêtes et humains cohabitaient dans la même maison, ce qui était un avantage en hiver (les habitants se réfugiant au chaud dans l'étable!). Dès qu'il pleuvait, le passage des cheptels dans les rues les transformaient   en véritables cloaques à cause des bouses de vaches ou crottes de mouton . Ce village n'avait pas une réputation de propreté, et il fallut attendre 1900 et les années suivantes pour que les rues soient enfin pavées !

 Le 1e novembre, après une messe solennelle sur la place du village, tout ce monde partait vers la France par un col qui  communique avec la haute vallée du Var (village d'ESTENC). Son patronyme actuel est "col de GIALORGUES". 

 Le patronyme de ce village a beaucoup évolué au cours des siècles. Dès 1067 une église est mentionnée « Ecclesia beati damatii ». Au XIIe siècle, l’appellation « Sanctus Dalmatius Selvaticus » a débouché sur le nom actuel . Sous administration sarde (1854) San Dalmazzo Il Selvatico, ou encore Sante Dalmazzo In Silvi. Aujourd’hui , il n’y a plus d’ambiguïté, il s’agit bien   

                                                                                        Saint-Dalmas-Le-Selvage,

 

 Les documents de notre anecdote, datés du XVIIIe et XIXe siècle, font état de:

                                                                                         Saint-Dalmas-Le-Sauvage

Une explication s'impose: en gavot (provençal alpin)",San-Dalmas-Lou Saouvagé" prêtait à confusion et même les documents officiels faisaient état du "Sauvage". En l'an VIII du calendrier républicain, l'erreur fut décelée, mais les mauvaises habitudes ont perduré.

J.E. FODERE, éminent scientifique, érudit, chargé de mission par le préfet des Alpes maritimes, parle de "Saint-Dalmas-Le-Sauvage", dans son courrier du 13 brumaire AnX,     adressé au "citoyen-Préfet"  (sic!)

Pour clore la polémique, le conseil municipal proposa en 1894: Saint-Dalmas-Sur-Tinée Cette initiative ne fut pas retenue par l'autorité de tutelle, et il fallut attendre 1920 pour que la haute administration mette un terme (définitif ?) à l'ambiguïté. C'était en fait un retour à l'appellation initiale du XIIe siècle:

                                                                                          Sanctus Dalmatius Selvaticus

La forêt (Selvage) figurera désormais dans les armoiries du village. Saint-Dalmas est très connu localement. Ancien légionnaire romain converti au christianisme, il aurait évangélisé le sud des Alpes, où quatre villages portent son nom :                                      Saint-Dalmas-Valdeblore,

Saint-Dalmas-de Tende,

Borgo San Dalmazzo,

                                                         et   ...   Saint-Dalmas-Le-Selvage !

                                                                

 


06/11/2014
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Une activité très traditionnelle : La vielle à roue !








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A la pointe septentrionale du comté de NICE, la Haute-Tinée, selon de nombreux témoignages, fut un des berceaux de la vielle à roue dans les Alpes du Sud. Avant 1860, date du dernier rattachement à la France, la plupart des autochtones étaient trilingues. En dehors de l’Italien, langue officielle et des dialectes locaux, leurs relations privilégiées avec le royaume de France( Barcelonnette et la vallée de l’Ubaye), les prédisposaient à utiliser le français dans les affaires. Aussi ne faut-il pas s’étonner si la vielle était appelée « orgue », ou encore « viola » ou « ourgounin » dans les dialectes locaux. Nombre d’entre elles étaient d’ailleurs des vielles dites « organisées », combinant l’instrument à cordes frottées et l’instrument à vent 

 

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La même vielle organisée (avant 1939)

 Cette expatriation traditionnelle, illustrée par les descriptions de J.E. FODERE  est encore attestée par un document daté du 7   mars 1809, un « passe-port » délivré par la commune d'AURILLAC (Cantal),

 Jean ANOGE, joueur de vielle, natif de Saint-Dalmas-Le-Sauvage, et y demeurant

On était très rigoureux au XIXe siècle, les musiciens itinérants devaient obtenir   un passe-port  (en deux mots!)  dans chaque ville traversée pendant leurs pérégrinations. Celui-ci date du 7 mars 1809. Jean Anoge devait être sur le chemin du retour, pour rejoindre ses foyers après la fonte des neiges, fin avril-début mai.           

 

Il déclare vouloir se rendre à BARCELONNETTE (Basses-Alpes), ville proche de Saint-Dalmas-Le-Selvage, les autochtones faisant couramment l'aller-retour dans la journée. il est âgé de 43 ans, mesure 1 mètre70, a les cheveux chatain, le front large le nez gros, la bouche moyenne, la barbe chatain, le menton rond, le visage ovale et le teint coloré

Signes particuliers; 

Une cicatrice au menton du côté droit,

La photo n'existait pas encore, mais la description est très précise ! !

Joannes Franciscus ANOGE nait au Pra le 25 décembre 1766   (joyeux Noël ! )  Il francise son prénom en Jean quand il se rend en France.  Jean meurt au Pra le 28 février 1824. Les actes d'état-civil sont transcrits en français, bien qu'il soit citoyen du royaume de Sardaigne. Le roi avait autorisé les villages frontaliers à utiliser les deux langues !

 

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06/11/2014
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L'émigration temporaire

Cette tradition des départs hivernaux est attestée "Da tempi immémorabili".

 

Laissons la parole à J.E. FODERE, chirurgien des armées napoléoniennes et créateur de la médecine légale, qui vécut à Saint-Dalmas en 1804 :

              Cet usage est extrêmement ancien et des vieillards de quatre-vingt ans m’en ont parlé comme d’une chose déjà pratiquée par leurs ancêtres ».

 

 Ainsi  du temps de Fodéré, contrairement aux siècles précédents, seuls les hommes et les jeunes en âge de partir  allaient gagner leur subsistance, parfois fort loin. L’hiver est long, les activités masculines réduites et ces départs diminuaient le nombre de bouches à nourrir durant la mauvaise saison. Ces pérégrinations pouvaient les entrainer dans des pays éloignés. Un concert de vielleux dalmassiers aurait redonné le moral à Louis XVIII, alors exilé à GAND après le débarquement de Napoléon 1e à Golfe-Juan (épisode dit « des cent jours »).

L’étymologie d’un lieu-dit a un rapport étroit avec la vielle et le récit de J.E. FODERE. Les départs du 1e novembre se faisaient par un col qui communique avec la haute vallée du Var (village d’Estenc). C’est par là qu’une caravane formée d’hommes avec vielles et marmottes dans leurs caisses s’est laissée surprendre par une avalanche. Ce ne fut qu’au printemps suivant , à la fonte des neiges, que furent retrouvés les corps, les débris d’instruments et les marmottes gelées dans leurs caisses. La région où s’est produite la catastrophe a porté le nom, en patois francisant, de « gialo-orgues » (gèle-orgues). Le toponyme actuel, après transcription  par des officiers du service géographique des armées, qui ne comprenaient pas les dialectes locaux est « Gialorgues ».

Autre témoignage, celui du chevalier De Cessole, grand découvreur des sommets des Alpes du  Sud : voici l’extrait du 15e bulletin de la section des Alpes Maritimes du Club Alpin Français( 1898), à propos du col de Gialorgues :

« Quant à l’étymologie de ce nom, on la trouve dans la traduction de Gialorgues, en patois gialo-orgues, gèle-orgues.La tradition rapporte que très anciennement une foule de Saint-Dalmassiers, portant des violes et des orgues et allant vers le commencement de l’hiver chercher ailleurs son existence, fut ensevelie sous des avalanches de neige

 

Ainsi à la Toussaint, toute la population du village et des hameaux se réunissait sur la place du village (pas l’actuelle ! ), écoutait une messe solennelle et toute cette jeunesse partait vers « Les Frances », évitant ainsi l’extrême rigueur d’un hiver  interminable.


06/11/2014
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Une anecdote vécue


 

 


L'histoire se passe au Pra, hameau le plus important de Saint-Dalmas-Le-Selvage, dont la fin fut dramatique. Créé à partie de 1617, il compta jusqu'à 160 habitants. Il y avait, au début du XXe siècle un prêtre, une école, la gendarmerie et, compte-tenu de la proximité de la frontière, un poste de douane aux interventions nombreuses, la contrebande avec l'Italie toute proche étant une activité traditionnelle.

Malheureusement, il était frôlé par un terrible torrent dévastateur, le Salso Moreno qui le ravagea à plusieurs reprises. Les inondations devinrent catastrophiques en particulier en 1860 et un siècle plus tard,le 22 juin 1961, ca qui mit un terme définitif à son existence permanente.

 

Témoignage d’Emile BRUN, né en 1921 au Pra (hameau de Saint-Dalmas-Le-Selvage)

Ce natif d’un village du bout du monde, aujourd’hui inhabité la plus grande partie de l’année raconte :

            

            « L’histoire qui nous impressionnait le plus, c’était l’histoire de mon grand’père et du loup.Lors de son retour au Pra, après la fête à Saint-Dalmas, mon grand’père avec sa vielle, qui avait  jusqu’à une heure avancée de la nuit fait danser les gens du village, s’aperçut en cours de route qu’il était suivi par un loup. Heureusement mon grand’père avait, en quittant Saint-Dalmas, rempli ses poches de cussonets, ce qui lui permit, en les lançant en direction du loup, de tenir celui-ci à distance. Hélas ! la provision fut vite épuisée. En arrivant à la sortie de Vens, direction le Pra,il n’y avait plus de cussonets et le loup menaçant avançait à grands pas !

A cet endroit, au bord de la route, il y avait un gros rocher qui faisait caverne. Pour éviter le loup, mon grand’père décida de s’y réfugier. Mais en rentrant à l’intérieur, une corde de la vielle accrocha le rocher, faisant un grand bruit musical. Le loup prit peur et s’éloigna. C’est alors que le grand’père, s’apercevant que le loup avait peur de la musique, continua sa route pour rentrer au Pra en jouant de la vielle, sans être inquiété par le loup. Depuis ce jour, le rocher a été appelé Grattaloupé  (gratte-loup)" 

 

Anecdote racontée par des anciens:

Au début du XXe siècle, un habitant qui revenait de Barcelonnette était suivi par un loup. Il n'en menait pas large car la bête avait tendance à se rapprocher. C'est alors qu'en agitant le sac qu'il portait, plein de diverses ferrailles ,fers  pour les ânes et chevaux, pointes, etc... , il s'aperçut que le loup était craintif. Naturellement, il s'empressa de bouger le tout et l'animal finit par disparaître.

 

  Le loup n’étant pas mélomane, ces bruits de poches de cornemuse qui se dégonflent , de grincements de cordes de vielle ou de ferrailles qui tintinnabulent  se retrouvent dans de nombreuses provinces de France. Ont-elles été colportées ou essaimées au cours des pérégrinations des musiciens itinérants ?

                                                            Possible ! …

 

Cette tradition est encore attestée  en 1856 lorsque le 15 octobre, le "sindaco" (analogue au maire français) signe une autorisation à FERRIER Francisco, sonneur ambulant d'orgue et de vielle, accompagné de sa femme et d'une amie pour qu'ils puissent pratiquer leur art dans les provinces de Nice, Gênes, Turin, Cuneo et "autres de l'Etat"                          (ndlr royaume de Piémont-Sardaigne)

 

La fin du XIXe siècle sonne le glas de ces pérégrinations lointaines:

Selon le chevalier De Cessole, en 1898,   les péragrinations habituelles des musiciens ambulants ne sont plus en usage: aujourd'hui les habitants de Saint-Dalmas vont dans les grandes villes où ils réussissent, à l'aide du travail, à réaliser de petites économies; ils reviennent plus tard dans leur pays jouir du fruit de leurs épargnes.

Au XXe siècle, les sonneurs de vielle à roue ont disparu du paysage. Un ancien m'a raconté qu'en 1907 (ou 1908 ?)  un joueur avait été sollicité pour faire danser la jeunesse du village. Il avait répliqué que sa chèvre étant sur le point de mettre bas, il ne pouvait pas venir. 

                                   Depuis ...   ... plus rien à ma connaissance !

Durant la décennie 1970, on note un petit renouveau de cet instrument, qui connut jadis son heure de gloire !

 

 

 

 

 

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 La dernière vielle "organisée" de St-Dalmas

 

Renouveau de la vielle en 2010 ?

 

 

 

                                   

 


10/11/2014
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La vielle, arme de défense contre le loup !

Vielleux et cornemuseux, appelés jadis à circuler en pleine nuit de par leur activité, mais aussi à un degré moindre violoneux et accordéonistes, avaient la réputation de posséder certains pouvoirs sur les animaux, et plus particulièrement sur les loups. Les deux instruments jouaient très souvent de concert, la vielle plus spécialisée dans les bals, la cornemuse pour les noces car plus facile à manipuler en marchant. Aujourd’hui, hélas, les quelques rares pratiquants de ces instruments n’ont  plus l’occasion de se trouver dans la nature en pleine nuit. Il y a un siècle, l’obscurité de la nuit était totale et créait des peurs et des phantasmes chez les habitants de nos campagnes. On ne sortait pas la nuit et on mettait la barre aux portes et fenêtres. La sorcellerie était couramment admise et a inspiré de nombreux  auteurs .       

Pour George Sand : … « les histoires qu’on fait chez nous sur les sonneurs-cornemuseux, lesquels passent pour savoir endormir les plus mauvaises bêtes, et mener à nuitée des bandes de loups par les chemins, comme d’autres mèneraient des ouailles aux champs »

                                                               Les meneux de loups

C’est dans la Brenne et le Morvan que les récits de « loups-garous , meneux de loups », (meneurs de loups) et de « jeteux de sorts » se sont le mieux conservés, témoin ce témoignage de George Sand (légendes rustiques ) :

            « Dans le Morvan, les ménétriers sont meneux de loups. Ils ne peuvent apprendre la musique qu’en se vouant au diable, et souvent leur maître les bat et casse leurs instruments sur le dos, quand ils désobeissent. Les loups de ce pays-là sont aussi les sujets de Satan ; ce ne sont pas de vrais loups. La tradition de lycanthropie se serait mieux conservée là que dans le Berry. Il y a une cinquantaine d’années, les sonneurs de musette et de vielle étaient encore sorciers dans la vallée Noire".

                                                                   Légende ou réalité ? 

En 1878, un très sérieux rapport du Préfet de l’Indre met en garde les populations contre les montreurs de loups, et signale :

            « La présence d’individus qui promènent des loups et se font remettre dans les fermes et maisons isolées de l’argent par les habitants qu’ils menacent et effraient »

Les accidents attestés étaient le fait de loups "imprégnés" car suivant les humains pour manger les cadavres lors des innombrables batailles, de loups atteints de la rage, de bêtes parfois non formellement identifiées (bête du Gévaudan), ou encore d'individus particulièrement affamés  !

Mais les musiciens de campagne auraient eu parfois des pouvoirs "moins catholiques". On les accusait de pactiser avec le diable. Ils étaient renommés pour charmer et envoûter les loups qui les suivaient, leur obéissaient comme des petits chiens, et les aidaient dans des actions sataniques.

Quelques récits de vielleux et cabretaîres se protégeant grâce à leurs instruments:

                                                            Les vielleux du col de la Colombière

            Les anciens racontent que lors des noces dans les hameaux, les joueurs de vielle devaient faire danser les convives jusqu’à une heure avancée de la nuit. A Bousieyas, certaines fêtes pouvaient compter une dizaine de musiciens qui étaient copieusement « arrosés » pour que la soirée se prolonge le plus possible. Pour ceux qui devaient revenir à Saint-Dalmas, en pleine nuit, souvent par un froid « de loup » et en état d’ébriété, il fallait une robuste santé !    La randonnée pédestre par le col de la Colombière (2239 m.) durait plusieurs heures et il n’était pas rare, jusqu’à la fin du XIXe siècle, que le noctambule titubant soit suivi par un ou plusieurs loups. Les vieilles peurs innées réapparaissaient, il ne fallait ni s’endormir ni tomber ! Au début, la bête se tenait à distance respectueuse, puis avait tendance à se rapprocher, au fur et à mesure qu’on s’éloignait de la civilisation. Les prunelles ardentes du fauve brillaient ou s’éteignaient au gré des innombrables rochers jalonnant l’itinéraire. Par précaution, le ménétrier avait rempli ses poches de   « cussonets » avant de partir (plat traditionnel de la Haute-Tinée, sorte de beignets). Il les lançait de temps en temps pour tenir l’animal à distance, mais ….…    la route était longue et la provision s’épuisait vite …                                              

Il lui fallait alors, pour rester éveillé et tenir le loup à distance, jouer de sa vielle, encore et encore, … le plus fort possible … et sans arrêter un seul instant !

Autres récits, dans plusieurs régions de France:

                                                                                             Le cabretaïre et le loup

Un jour, ou plutôt une nuit, Pierrou revenait d’une noce du côté de Bos-Monghal, vers les deux trois heures du matin. Pour aller chez lui, vers Farreyolles, il avait pris au plus court, par les champs et les bois et passé par la Peyre-About, du côté de Fraisse, cette pierre presque grosse comme une maison, calée par deux autres, et que quatre fades soulevaient sans peine et portaient tranquillement en filant leur quenouille.

En ce temps-là, quantité de loups sortaient du bois de Gravières. Voilà qu’un peu plus loin, en traversant l’endroit appelé « Les Sauvages », notre homme qui avait encore les oreilles pleines des beaux airs qu’il avait joués, entend des hurlements au loin derrière lui.

            Ah ! diable ! se dit-il, cette musique-là ne me convient guère, et il allonge le pas. Mais cela se rapproche. Du coup le cabretaïre prend la course à travers genêts et ronces, qui ne manquent pas dans le quartier, et tire tout droit vers la Vergne-Des-Ouves, pensant dépister  ses poursuivants en contournant le marais. A peine a-t-il fait quelques enjambées, qu’un loup, les yeux luisants comme de la braise, est déjà sur ses talons. Le pauvre gars se demande déjà s’il aura le temps de faire son acte de contrition quand, dans le noir, il voit près de lui un gros chêne avec de basses branches.

            Me voilà sauvé ! pensa-t-il, et vite il court à l’arbre.

En un rien de temps il y grimpe, et, bien sûr, le plus haut qu’il peut. Bien lui en prit car une vingtaine de ces méchantes bêtes arrivaient aussitôt. La meute entoura l’arbre en hurlant. Notre pauvre Pierrou  n’était pas des plus fiers au sommet de son perchoir. Si grande était sa peur qu’il essaya d’atteindre une branche encore plus élevée. Dans le brusque mouvement qu’il fit, sa cabrette, heurtée on ne sait comment, laissa échapper un son plaintif. Alors les loups, surpris par cette espèce de bêlement inconnu pour eux, dressèrent l’oreille et firent silence ; sûrement cela les inquiétait.

Alors le musicien se mit à jouer une bourrée endiablée. Toute la bande, prise de panique, décampa en un instant. Ah ! on  peut assurer que jamais Pierrou le cabretaïre n’y était allé de si bon cœur. Après cela, l’homme descendit de son arbre et, continuant de jouer sans arrêter, rentra chez lui sans faire de mauvaise rencontre. 

Des récits similaires sont recueillis dans de nombreuses régions de France. Celui-ci provient du Rouergue (traduit de l'occitan):

          Ce Lacroix jouait de la cabrette et avant d’arriver à Born, les loups se mirent un devant et l’autre derrière lui. Si au moins il avait eu un fusil ! … Il leur avait donné toute sa fouace. Alors il dit :

«Maintenant que j’ai fini la fouace, je vais leur jouer un air ».                                                  Quand il se mit à jouer de la cabrette, bien sûr les loups partirent. Il dit                                  « Si j’avais su, je leur en aurais joué plus tôt ! »

Le récit suivant se situe dans le Montbronnais (Charente) :

                                       Le vielleux dans la fosse à loups!

            "Guillaume Dagnas dit « Guilhaumet », maçon à Massignac, bon vielleux également, fut le héros involontaire d’une aventure qui est restée dans certaines mémoires. Il serait tombé une nuit dans une fosse-piège, mais un loup s’y trouvait déjà ! …  Guilhaumet n’aurait dû son salut qu’à sa vielle, dont, fou de peur, il se serait mis à mouliner pour effrayer le loup et se faire entendre de quelqu’un. Au petit jour, c’est un bien curieux spectacle qui s’offrit à ceux qui s’en venaient, attirés par ce moulinage endiablé. Indemne, il fut sorti de sa fosse avec sa vielle. Celle-ci aurait été jetée au bourier à sa mort. (Le bourier est le tas d’ordure dans notre langage local)"

                                                                                                                                                                     

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 Un loup qu'on peut apercevoir avec beaucoup de chance ! aux environs de Saint-Dalmas-Le-Selvage

La photo a été prise au parc à loups de Saint-Martin-Vésubie, qui garde encore des traces du prédateur ,grâce au témoignage d'un ancien qui décrit une attaque du loup sur des vaches:

                "Les loups mordent les bêtes par la queue, puis ils les font tourner,  tourner. La bête quand elle est prise par la queue comme ça, elle tourne, tourne jusqu'à ce qu'elle se foute par terre . Quand elle est par terre,...Vlan ! Ils se plantent à la gorge. C'est ça la malice du loup !

  

 Ce même village garde encore une trace de la fosse aux loups

 

 

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16/11/2014
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