La kinkerne dans les Alpes du sud

La kinkerne dans les Alpes du sud

Evolution dans le temps de cette émigration

Cette émigration hivernale , constante dans le temps, a cependant varié dans le détail. Nous allons faire un court historique appuyé sur quelques dates-charnières :

      1690              1714,             1752,            1804,              1856                    1898

 

 

1690:

 Pierre  GIOFFREDO, homme d'église, historien du duc de Savoie , dans son "Histoire des Alpes Maritimes" , mentionne cette coutume d'expatriation. On peut considérer que cette tradition était bien antérieure à la probable date de publication de son œuvre (1690)

 

                       "  Ceux des vigueries de Saint-Etienne et de Barcelonnette sont très industrieux et amis de l'argent. Pour en accumuler quand ils ont terminé les travaux domestiques de la belle saison, ils quittent l'hiver leur patrie et s'en vont en chercher dans des régions lointaines, en partie en commerçant, en partie grâce  à divers travaux manuels " .       

 

Le village de Saint-Dalmas-Le-Selvage est situé à 7km.environ de Saint-Etienne-De-Tinée et faisait partie de sa viguerie. Par ailleurs, ses habitants allaient faire leurs achats à Barcelonnette et revenaient dans la journée. 

 

  1714 :

   Les formules qui reviennent invariablement chez ces émigrants sont l'obligation de « sussistere ,  procurare la sussistenza », « cacciarci il vitto »,

Dès 1714, on note dans la correspondance politique des Affaires Etrangères, Sardaigne , à propos de la vallée de la Tinée :

« Cette vallée est assez stérile … le peuple y est pauvre et dès que le mois de novembre arrive, il sort les deux tiers du peuple avec les enfants et filles qui s'en vont dans des pays étrangers, les uns pour mendier, les autres pour travailler, beaucoup à la scie et d'autres portent la curiosité et les marionnettes pour amuser les badauds et ne reviennent dans leur pays qu'au mois d'avril ou de mai où ils apportent dans leur famille chacun quelques pistoles ».

 

1752 :

 

38 ans plus tard, l'enquête de l'Intendant Joanini de 1752 modifie les habitudes :

 

les habitants partent en grand nombre à chaque automne et emportent avec eux marmottes, « mondes nouveaux », lanternes magiques et autres curiosités qu'ils vont offrir en spectacle dans des tournées lointaines qui les conduisent en France, en Italie, en Angleterre, en Hollande ou en Allemagne. Les petits enfants de Saint-Dalmas-Le-Selvage partent eux aussi et vivent de mendicité.

 

 

 

1804 :

 

Cinquante ans après l'enquête de 1752, J.E. Fodéré, chirurgien des armées ,nommé par arrêté du préfet en date du 15 vendémiaire An X (07-10-1801) en qualité de commissaire pour parcourir le département, recueillir tous renseignements et faire toutes observations statistiques, physiques, etc...

Il  vécut à Saint-Dalmas en 1804 (son premier passage lui avait été fort agréable!) . Il note dans son Voyage aux Alpes Maritimes ,paru en 1821, que les habitants de Saint-Dalmas ont changé leurs habitudes :

 

Les émigrants de Saint-Dalmas ont abandonné leur métier spécial de montreurs de curiosités et pratiquent seulement celui de joueurs de vielles et de musiciens ambulants.

 

Voici la description pittoresque qu'il fait de cette tradition:

                                  " Montrer la marmotte, décrotter, ramoner et autres petites industries que se sont appropriées ceux qui descendent des montagnes de  Barcelonnette, de la Savoie, de l'Auvergne ,etc...   sont inconnues par ici ; mais les habitants de la haute vallée de la Tinée ont un autre talent bien plus agréable. Ils apprennent de bonne heure à jouer de la vielle et autres instruments, avec lesquels ils vont dans les villes de France exécuter cette musique ambulante qui interrompt souvent délicieusement le repos de la nuit. Leurs oreilles sont accoutumées dès l'enfance à l'harmonie et l'on voit les enfants tressaillir en apercevant une vielle entre les bras de leur père. J'étais à Saint-Dalmas la veille du départ de la caravane: le maire, vieillard respectable chez qui j'étais logé, avait fait signe à ses enfants et à toute cette jeunesse qui allait partir; au milieu du dîner j'entendis une musique ravissante (qu'on me passe le terme!) exécutée par un grand nombre d'instruments qui me délassa de toutes mes fatigues, qui me fit oublier la neige tombant à gros flocons et l'horrible situation de ce village. Le lendemain, il n'y avait plus que les vieillards, les femmes et les enfants. C'est ordinairement le 1e novembre que le départ a lieu, et le retour le 1e mai. Cet usage est extrêmement ancien et des vieillards de quatre-vingt ans m'en ont parlé comme d'une chose déjà pratiquée par leurs ancêtres. "

 

 A la fin du XIXe siècle, ces pérégrinations n'existent plus. La vielle existe toujours, pour faire danser dans le village et ses hameaux lors des festivités, mais les habitants n'en font plus leur profession hivernale.

 

 Qu'est-ce qu'un « monde nouveau » ?

 Les « mondes nouveaux » « Tutti li mundi » étaient constitués d'un long coffre avec dessus en bois qui avait sur les parois latérales plusieurs trous en verre où on apercevait des paysages,  des vues de villes  et des scènes fantastiques illuminées. Ce coffre était habituellement tiré par un âne.

 

tutti li mundi 2.jpg

 tutti li mundi.jpg

Qu'est-ce qu'une "lanterne magique" ?

C'est l'ancêtre du projecteur de diapos. Elle est illustrée au XVIII e siècle par les Savoyards. Rappelons que Nice et son comté étaient alors aussi savoyards que Chambéry ou Annecy !

A l'aide de plaques colorisées le "montreur" projette des vues fixes. La source de lumière est fournie par des bougies ou une lampe à huile. L'image passe à travers un objectif et est projetée sur un écran, simple mur passé à la chaux ou drap tendu .

Le spectacle devait donner le frisson aux spectateurs à l'aide de crimes, de squelettes, de vampires... Il pouvait éventuellement s'agir de scènes de batailles, de scènes mythologiques, d'anecdotes sur le souverain en place: l'actualité de l'époque  ?

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 lanterne magique vernet.jpg

1856:

 

Les départs hivernaux se font plus rares. On note, le 15octobre 1856, une autorisation du "sindaco"(analogue au maire français) accordée  à Ferrier Francisco, "sonneur ambulant d'orgue et de vielle", accompagné de sa femme et d'une amie,  pour qu'ils puissent pratiquer leur art dans les provinces de Nice, Gênes, Turin, Cuneo et   "autres de l'Etat"                     (ndlr royaume de Sardaigne)

 

1898 :

 

La fin du XIXe siècle sonne le glas de ces pérégrinations lointaines. Selon le chevalier de Cessole, 

 "Les pérégrinations habituelles des musiciens ambulants ne sont plus en usage:

 aujourd'hui, les habitants de Saint-Dalmas vont dans les grandes villes où ils réussissent à l'aide du travail , à réaliser de petites économie; ils reviennent plus tard dans leur pays jouir du fruit de leurs épargnes

 La vielle ne disparaît pas complètement, elle est encore utilisée pour faire danser la jeunesse dans le village et ses hameaux

 

 



01/12/2014
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