La kinkerne dans les Alpes du sud

La kinkerne dans les Alpes du sud

La vielle, arme de défense contre le loup !

Vielleux et cornemuseux, appelés jadis à circuler en pleine nuit de par leur activité, mais aussi à un degré moindre violoneux et accordéonistes, avaient la réputation de posséder certains pouvoirs sur les animaux, et plus particulièrement sur les loups. Les deux instruments jouaient très souvent de concert, la vielle plus spécialisée dans les bals, la cornemuse pour les noces car plus facile à manipuler en marchant. Aujourd’hui, hélas, les quelques rares pratiquants de ces instruments n’ont  plus l’occasion de se trouver dans la nature en pleine nuit. Il y a un siècle, l’obscurité de la nuit était totale et créait des peurs et des phantasmes chez les habitants de nos campagnes. On ne sortait pas la nuit et on mettait la barre aux portes et fenêtres. La sorcellerie était couramment admise et a inspiré de nombreux  auteurs .       

Pour George Sand : … « les histoires qu’on fait chez nous sur les sonneurs-cornemuseux, lesquels passent pour savoir endormir les plus mauvaises bêtes, et mener à nuitée des bandes de loups par les chemins, comme d’autres mèneraient des ouailles aux champs »

                                                               Les meneux de loups

C’est dans la Brenne et le Morvan que les récits de « loups-garous , meneux de loups », (meneurs de loups) et de « jeteux de sorts » se sont le mieux conservés, témoin ce témoignage de George Sand (légendes rustiques ) :

            « Dans le Morvan, les ménétriers sont meneux de loups. Ils ne peuvent apprendre la musique qu’en se vouant au diable, et souvent leur maître les bat et casse leurs instruments sur le dos, quand ils désobeissent. Les loups de ce pays-là sont aussi les sujets de Satan ; ce ne sont pas de vrais loups. La tradition de lycanthropie se serait mieux conservée là que dans le Berry. Il y a une cinquantaine d’années, les sonneurs de musette et de vielle étaient encore sorciers dans la vallée Noire".

                                                                   Légende ou réalité ? 

En 1878, un très sérieux rapport du Préfet de l’Indre met en garde les populations contre les montreurs de loups, et signale :

            « La présence d’individus qui promènent des loups et se font remettre dans les fermes et maisons isolées de l’argent par les habitants qu’ils menacent et effraient »

Les accidents attestés étaient le fait de loups "imprégnés" car suivant les humains pour manger les cadavres lors des innombrables batailles, de loups atteints de la rage, de bêtes parfois non formellement identifiées (bête du Gévaudan), ou encore d'individus particulièrement affamés  !

Mais les musiciens de campagne auraient eu parfois des pouvoirs "moins catholiques". On les accusait de pactiser avec le diable. Ils étaient renommés pour charmer et envoûter les loups qui les suivaient, leur obéissaient comme des petits chiens, et les aidaient dans des actions sataniques.

Quelques récits de vielleux et cabretaîres se protégeant grâce à leurs instruments:

                                                            Les vielleux du col de la Colombière

            Les anciens racontent que lors des noces dans les hameaux, les joueurs de vielle devaient faire danser les convives jusqu’à une heure avancée de la nuit. A Bousieyas, certaines fêtes pouvaient compter une dizaine de musiciens qui étaient copieusement « arrosés » pour que la soirée se prolonge le plus possible. Pour ceux qui devaient revenir à Saint-Dalmas, en pleine nuit, souvent par un froid « de loup » et en état d’ébriété, il fallait une robuste santé !    La randonnée pédestre par le col de la Colombière (2239 m.) durait plusieurs heures et il n’était pas rare, jusqu’à la fin du XIXe siècle, que le noctambule titubant soit suivi par un ou plusieurs loups. Les vieilles peurs innées réapparaissaient, il ne fallait ni s’endormir ni tomber ! Au début, la bête se tenait à distance respectueuse, puis avait tendance à se rapprocher, au fur et à mesure qu’on s’éloignait de la civilisation. Les prunelles ardentes du fauve brillaient ou s’éteignaient au gré des innombrables rochers jalonnant l’itinéraire. Par précaution, le ménétrier avait rempli ses poches de   « cussonets » avant de partir (plat traditionnel de la Haute-Tinée, sorte de beignets). Il les lançait de temps en temps pour tenir l’animal à distance, mais ….…    la route était longue et la provision s’épuisait vite …                                              

Il lui fallait alors, pour rester éveillé et tenir le loup à distance, jouer de sa vielle, encore et encore, … le plus fort possible … et sans arrêter un seul instant !

Autres récits, dans plusieurs régions de France:

                                                                                             Le cabretaïre et le loup

Un jour, ou plutôt une nuit, Pierrou revenait d’une noce du côté de Bos-Monghal, vers les deux trois heures du matin. Pour aller chez lui, vers Farreyolles, il avait pris au plus court, par les champs et les bois et passé par la Peyre-About, du côté de Fraisse, cette pierre presque grosse comme une maison, calée par deux autres, et que quatre fades soulevaient sans peine et portaient tranquillement en filant leur quenouille.

En ce temps-là, quantité de loups sortaient du bois de Gravières. Voilà qu’un peu plus loin, en traversant l’endroit appelé « Les Sauvages », notre homme qui avait encore les oreilles pleines des beaux airs qu’il avait joués, entend des hurlements au loin derrière lui.

            Ah ! diable ! se dit-il, cette musique-là ne me convient guère, et il allonge le pas. Mais cela se rapproche. Du coup le cabretaïre prend la course à travers genêts et ronces, qui ne manquent pas dans le quartier, et tire tout droit vers la Vergne-Des-Ouves, pensant dépister  ses poursuivants en contournant le marais. A peine a-t-il fait quelques enjambées, qu’un loup, les yeux luisants comme de la braise, est déjà sur ses talons. Le pauvre gars se demande déjà s’il aura le temps de faire son acte de contrition quand, dans le noir, il voit près de lui un gros chêne avec de basses branches.

            Me voilà sauvé ! pensa-t-il, et vite il court à l’arbre.

En un rien de temps il y grimpe, et, bien sûr, le plus haut qu’il peut. Bien lui en prit car une vingtaine de ces méchantes bêtes arrivaient aussitôt. La meute entoura l’arbre en hurlant. Notre pauvre Pierrou  n’était pas des plus fiers au sommet de son perchoir. Si grande était sa peur qu’il essaya d’atteindre une branche encore plus élevée. Dans le brusque mouvement qu’il fit, sa cabrette, heurtée on ne sait comment, laissa échapper un son plaintif. Alors les loups, surpris par cette espèce de bêlement inconnu pour eux, dressèrent l’oreille et firent silence ; sûrement cela les inquiétait.

Alors le musicien se mit à jouer une bourrée endiablée. Toute la bande, prise de panique, décampa en un instant. Ah ! on  peut assurer que jamais Pierrou le cabretaïre n’y était allé de si bon cœur. Après cela, l’homme descendit de son arbre et, continuant de jouer sans arrêter, rentra chez lui sans faire de mauvaise rencontre. 

Des récits similaires sont recueillis dans de nombreuses régions de France. Celui-ci provient du Rouergue (traduit de l'occitan):

          Ce Lacroix jouait de la cabrette et avant d’arriver à Born, les loups se mirent un devant et l’autre derrière lui. Si au moins il avait eu un fusil ! … Il leur avait donné toute sa fouace. Alors il dit :

«Maintenant que j’ai fini la fouace, je vais leur jouer un air ».                                                  Quand il se mit à jouer de la cabrette, bien sûr les loups partirent. Il dit                                  « Si j’avais su, je leur en aurais joué plus tôt ! »

Le récit suivant se situe dans le Montbronnais (Charente) :

                                       Le vielleux dans la fosse à loups!

            "Guillaume Dagnas dit « Guilhaumet », maçon à Massignac, bon vielleux également, fut le héros involontaire d’une aventure qui est restée dans certaines mémoires. Il serait tombé une nuit dans une fosse-piège, mais un loup s’y trouvait déjà ! …  Guilhaumet n’aurait dû son salut qu’à sa vielle, dont, fou de peur, il se serait mis à mouliner pour effrayer le loup et se faire entendre de quelqu’un. Au petit jour, c’est un bien curieux spectacle qui s’offrit à ceux qui s’en venaient, attirés par ce moulinage endiablé. Indemne, il fut sorti de sa fosse avec sa vielle. Celle-ci aurait été jetée au bourier à sa mort. (Le bourier est le tas d’ordure dans notre langage local)"

                                                                                                                                                                     

 loups 002.JPG

 Un loup qu'on peut apercevoir avec beaucoup de chance ! aux environs de Saint-Dalmas-Le-Selvage

La photo a été prise au parc à loups de Saint-Martin-Vésubie, qui garde encore des traces du prédateur ,grâce au témoignage d'un ancien qui décrit une attaque du loup sur des vaches:

                "Les loups mordent les bêtes par la queue, puis ils les font tourner,  tourner. La bête quand elle est prise par la queue comme ça, elle tourne, tourne jusqu'à ce qu'elle se foute par terre . Quand elle est par terre,...Vlan ! Ils se plantent à la gorge. C'est ça la malice du loup !

  

 Ce même village garde encore une trace de la fosse aux loups

 

 

fosse à loups.jpg

 

 



16/11/2014
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